Les archéologues peuvent dire merci aux promoteurs. Combien de tumulus, de nécropoles, de bourgs ont été découverts grâce aux projets d'aménagement du territoire ? Dès qu'un projet de route, de lotissement ou de ligne TGV est en route, le service régional de l'archéologie se saisit du dossier et prescrit ou non un diagnostic : il s'agit de déterminer la présence de vestiges archéologiques. Les pelles mécaniques vont alors ouvrir des tranchées de 8 à 10% de la surface totale. Si les résultats sont concluants, le Préfet de la Région peut lancer une fouille préventive.
© Sandrine Bavard Mathias Higelin, archéologue au Pôle d'archéologie interdépartemental rhénan, sur les fouilles de la galerie Kilianstollen au nord de CarspachIl se peut aussi que le hasard fasse bien les choses. Sur le chantier de la déviation d'Aspach –Thalmatten près d'Altkirch, le diagnostic n'avait rien donné, mais un engin de chantier a mis au jour des poutres de bois. A 5 mètres de profondeur, se cachait une galerie allemande de la Première guerre mondiale, appelée Kilianstollen (l'abri de Kilian), longue de 125 mètres et pouvant accueillir jusqu'à 500 soldats. Bombardée par l'armée française en mars 1918, la galerie s'est écroulée, piégeant 34 soldats : 13 ont été sauvés, 21 soldats sont morts. 21 dépouilles à retrouver pour les archéologues du Pôle d'archéologie interdépartemental rhénan (PAIR), organisme chargé des fouilles sur ce chantier.
Ce site est exceptionnel, l'un des plus importants pour l'archéologie de la Première guerre mondiale en France. Comme il s'agit d'une catastrophe, le site est dans un très bon état de conservation : le terrain a été obstrué, empêchant l'air de passer et de dégrader les éléments. Les archéologues ont ainsi retrouvé des livrets militaires, des paquets de cigarette, des pièces de monnaies, des chapelets... Autant d'éléments qui vont permettre de mener des études scientifiques et historiques pour mieux connaître la vie de ces soldats. « Nous avons peu d'informations sur ces galeries parce que les archives allemandes ont été détruites pendant la Seconde guerre mondiale. Ce site va nous permettre de répondre à de nombreuses questions : comment les construisaient-ils ? Comment aménageaient-ils l'intérieur ? Comment y vivait-on au quotidien? Comment se chauffait-on ? Comment gérait-on l'eau ? Comment on se nourrissait-on ? », énumère Michaël Landolt, archéologue du PAIR responsable des opérations.
Ce site a également une dimension particulière : le conflit n'a même pas 100 ans. Les archéologues ne déterrent pas des anonymes, mais des squelettes sur qui ils pourraient bientôt mettre un visage. Bref, l'histoire récente leur saute à la figure, comme l'explique Amélie Pelissier, anthropologue. « Mon rôle est d'attribuer un squelette à un individu et de noter la position des ossements pour nous renseigner sur ce qui s'est exactement passé. Ce site est vraiment unique car il s'agit d'une catastrophe : ce n'est pas facile de fouiller un squelette à la verticale contre la paroi ou de démêler des ossements enchevêtrés. Il y a le côté scientifique et ces squelettes récents vont nous permettre de faire des référentiels, mais il y aussi le fait de leur donner une sépulture décente. C'est intéressant d'aller jusqu'au bout de l'histoire.» Que vont devenir ces corps ? Après leur analyse, ils seront remis au service des sépultures français, puis à leur homologue allemand qui ont déjà entrepris des recherches pour retrouver les familles. Les corps pourront être inhumés dans le caveau de la famille ou dans une nécropole allemande en France.
Après le départ des archéologues, les bulldozers reprendront leur droit sur le chantier pour terminer la déviation entre Aspach et Thalmatten. Mais tout ne sera pas perdu puisque que comme dans chaque fouille, le moindre détail est répertorié, comme l'explique Mathias Higelin, archéologue : « Les découvertes sont photographiées dans tous les angles de vue possible. Elles sont dessinées sur du papier millimétré sur le terrain ce qui nous permet de matérialiser avec des symboles qu'ici, il y avait une pelle, que là, il y avait un livret...On est comme des inspecteurs de police, on doit apporter la preuve de ce que l'on rapporte ». Les objets sont ensuite étiquetés et conditionnés pour être stockés dans les entrepôts du PAIR. Ils seront ensuite analysés en laboratoire, et restaurés pour certains. Toutes les informations recueillies sur le site seront publiées dans un rapport remis à l'administration, puis présentées à la communauté scientifique, et enfin au grand public à travers des conférences.
Verra-t-on un jour les résultats de ces fouilles dans un musée ? Il est encore trop tôt pour le dire mais la France commémorera bientôt le centenaire du début de la Grande guerre. « Le musée archéologique de Strasbourg prévoit en 2013 une exposition sur l'archéologie de la Première guerre mondiale. On pourrait imaginer une partie sur la galerie Kilianstollen », avance Michaël Landolt. L'idée est lancée.
Voir aussi notre article sur la nouvelle salle d'archéologie au Musée Historique de Mulhouse
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