Propos recueillis en décembre 2011.
© dr Autodidacte, Yan Gilg est aujourd'hui le directeur artistique de la compagnie pluridisciplinaire Mémoires vivesIl n'est pas fils d'immigrés. Il n'est pas né dans les cités. Il n'a jamais eu à passer entre les gouttes. Mais Yan Gilg a la fibre militante. Directeur artistique de la compagnie Mémoires vives à Strasbourg, il combat les discriminations en faisant du hip hop et en racontant le passé colonial de la France. A croire que le gamin de Marckolsheim, né à Colmar, était voué à la lutte. A quatre ans, il dessinait déjà des pancartes pour les manifestations anti-nucléaires où l'emmenaient ses parents, tous deux enseignants. A la fac, il milite dans les Jeunesses communistes révolutionnaires et SOS Racisme. Puis travaille comme animateur dans les quartiers populaires : « Je me posais la question : pourquoi eux (les étrangers) et nous ? Pourquoi dans une République où l'on parle de fraternité, d'égalité, met-on au ban cette population ? Pourquoi cette discrimination institutionnalisée ? Pourquoi ce rejet de l'autre ? J'ai trouvé mes réponses en m'intéressant à l'histoire coloniale de la France, parce que notre rapport à l'autre est déterminé par ce passé : on a construit au fil des décennies des réflexes, des mécanismes, que l'on n'a pas déconstruits. » En se plongeant dans les livres d'histoire, ce sont les situations rencontrées dans la vie quotidienne qu'il revit et comprend : « En Algérie par exemple, la France s'est appuyée sur des chefs de tribus pour créer des bureaux arabes. Comme elle s'est appuyée sur des grands frères ou des associations communautaires dans les banlieues. Elle reproduit son rapport à l'indigène dans son rapport à l'immigré. Bien sûr, pas de manière aussi frontale, mais de manière insidieuse, peut-être inconsciente. »
Ses réflexions, ses luttes, Yan Gilg les chante dans les années 80 dans différents groupes de musique, branchés sur un courant alternatif et revendicatif : le rock, le punk. Le rap conscient, qui expose les problèmes des ghettos et dénonce les injustices, le séduit, quand il déferle dans les banlieues françaises dans les années 90. Il crée en 1996 l'association Les sons d'la rue dans le quartier de l'Elsau à Strasbourg, pour accompagner les jeunes dans leurs pratiques artistiques. Mais il découvre que le message ne porte pas aussi loin qu'il le voudrait : le rap conscient disparaît des bacs au profit d'un rap bling bling et les lieux de diffusion ouvrent trop rarement leurs portes. « Le hip hop est né à la périphérie. Le but est d'atteindre le centre. Comme pour le jazz qui est sorti des champs de coton », souligne-t-il.
Il décide donc de passer à la mise en scène et fonde en 2006 la Cie Mémoires vives, mélangeant plusieurs disciplines (rap, danse, théâtre, vidéo...) pour créer des spectacles sur l'histoire de l'immigration. « Pour moi, la nature même de l'art est d'être engagé, la quête du beau vient après. L'art est un moyen de toucher les gens. Et j'ai voulu que ce soit dans les théâtres, parce que ce sont des lieux fréquentés par une certaine classe sociale (médecin, avocat, enseignant...), des gens qui peuvent être vecteurs de changement. J'y livre mon analyse : tant qu'on n'a pas décolonisé les esprits, on sera dans l'impasse. »
Yan Gilg fait aussi ce travail d'immersion dans l'histoire coloniale pour des municipalités en animant des ateliers auprès des jeunes. Il travaille actuellement au centre socio-culturel Europe de Colmar où il monte un petit spectacle sur la première armée d'Afrique qui débarque en Provence à la fin de la Seconde Guerre mondiale. « Ce travail peut être déstabilisant pour certains, mais c'est un travail nécessaire pour reconstituer le puzzle. Certains artistes de la compagnie ont ainsi recomposé leurs trajectoires familiales. C'est l'aventure qu'on a envie de faire vivre à d'autres publics ».
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