Propos recuellis en février 2016 par Sandrine Bavard.
© © Sylvie Joechlin Sylvie Koechlin, sculptrice de la statue Dreyfus au Parc SteinbachÀ Mulhouse, les Koechlin, grande famille d’industriels, on connaît. Mais les Koechlin, éparpillés aux quatre coins de la France, ne connaissent pas forcément Mulhouse. L’histoire familiale se transmet cependant de génération en génération : « L’Alsace est vu comme un pays mythique. Ma famille a quitté Mulhouse en 1871, mes grands-parents sont nés à Paris, mais évoquaient l’Alsace à travers leur récit comme quelque chose d’heureux qui a existé mais qui n’est plus. Moi, je viens de la branche de Jean-Jacques, médecin, qui a lutté contre la peste à Mulhouse et qui dit avoir été sauvé de la maladie parce qu’il fumait la pipe », se remémore Sylvie Koechlin.
Elle vient d’une longue lignée de médecin, sa grand-mère étant même la seule étudiante en fac de médecine avant la guerre de 1914, mais elle n’a pas suivi ce destin : « J’étais rebelle, plaisante-elle. Ma grand-mère m’a emmené à quatre ans dans un atelier de dessin, et j’ai eu une révélation. Il n’y a pas un moment de ma vie où je n’ai pas été attirée par les arts ». Elle étudie les Beaux-Arts à Dijon, sa ville natale, puis devient illustratrice pendant une dizaine d’années, tout en continuant de prendre des cours, tout en élevant ses trois enfants : « Ce sont mes plus belles créations. Ils ont été essentiels pour ma construction artistique. Pour faire des sculptures chargées d’humanité, il faut avoir vécu, sinon on n’a pas grand-chose à raconter. La vie qu’on mène est aussi importante que l’œuvre que l’on fait. »
À 40 ans, Sylvie Koechlin change de vie et s’installe en tant que sculpteur. Elle travaille toutes les matières : l’albâtre, le marbre, le calcaire, le granit, l’onyx, pour des commandes privées ou publiques. Et ce qu’il intéresse, c’est la taille directe, avoir affaire à un gros bloc et en découdre franchement avec lui : « Je prends la force plutonique du bloc. C’est la pierre qui me renvoie toute sa force. » Ce sera exactement le cas du Monument Dreyfus qu’elle réalise en ce moment. Pour s’imprégner de l’affaire, Sylvie Koechlin a beaucoup lu : « Il fallait représenter Dreyfus réhabilité, autant dire que je n’avais aucune idée. J’ai découvert un océan de documents, qui pourraient remplir une bibliothèque entière. J’ai cherché des images dans la littérature, chez Zola, Mirebeau, Jaurès, Valéry… » Elle retient celle de Jaurès : « Un gros bloc obstrue le chemin » et celle de Zola : « Je n’ai qu’une seule passion, la lumière ». C’est ainsi que dans le futur monument, Dreyfus sort tout droit d’un bloc de granit de 10 tonnes et 2.50 m de haut, coupé en deux par un rai de lumière, symbole de la vérité. Sylvie Koechlin a rendu aussi les décorations militaires au capitaine dont sa Légion d’Honneur et tous ses boutons qui lui avaient été cruellement arrachés dans la cour de l’École militaire de Paris lors de sa dégradation en 1895.
Sylvie Koechlin a commencé la taille de la sculpture il y a un an. Un travail de longue haleine puisque la sculptrice a mis trois mois pour trouver le bloc de granit idéal, dans lequel elle va tailler le buste de Dreyfus. « Je vis des heures solitaires face à mon rocher, avoue-t-elle . On n’a pas le droit au repentir. Je ne peux pas remettre des blocs que j’ai enlevés, il suffit d’un centimètre de plus ou de moins dans l’écartement des yeux par exemple et on n’a plus affaire au même personnage. Il faut prendre énormément de recul et travailler avec prudence. Et en même temps, si on chatouille le granit, il ne se passe rien .» Pour l’artiste, ce monument constitue le sommet de sa carrière. « Il est porteur de tellement de symboles, celle de la lutte contre l’antisémitisme, l’obscurantisme, l’exclusion, l’injustice et le mensonge, s’exclame-t-elle. Après avoir ébranlé la République, l’affaire Dreyfus l’a renforcée. C’est une histoire fascinante. »
En boucle sur votre Ipod ?
Quand j’ai besoin de me concentrer, c’est Bach. Quand j’ai besoin de me calmer, c’est Mozart. Et pour m’amuser, c’est le jazz.
Votre livre de chevet ?
Lettre à un jeune poète de Rainer Maria Rilke, qui contient les raisons même pour lesquelles je me suis engagée dans une vie d’artiste.
Une personnalité que vous admirez ?
Michel-Ange, le plus grand des génies dans mon métier. Il ne met pas la performance technique avant la force du bloc, contrairement aux autres sculpteurs de son époque.
Un endroit où vous vous sentez bien ?
J’aime beaucoup être à la montagne : la nature a fait tout le travail sans que l’on se fatigue.
Ce qui vous émerveille dans la vie ?
Le sourire d’un enfant.
Votre dernière grosse colère ?
Ce qui me rend vraiment en colère, c’est la bêtise et le mensonge. Je préfère dire la vérité et me prendre une claque.
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