Propos recueillis en juillet 2012.
« Ma paroisse, ce sont tous ceux qui ne mettent pas les pieds à l’église ! » Voilà des propos bien curieux dans la bouche d’un pasteur. Mais Roland Kauffman, seul pasteur de France embauché à plein temps pour s’occuper de la programmation artistique d’un temple, qui plus est le plus grand édifice protestant situé en centre-ville, est un homme singulier.
Sous son impulsion, et celle de l’association Saint-Etienne Réunion, le temple vibre toute l’année avec des concerts, des performances, des expositions… Mais il ne veut pas tirer la couverture à lui : « Moi, je suis juste la partie émergée de l’iceberg. L’association touvait ça idiot qu’il y ait ce bâtiment énorme en centre ville qui ne soit ouvert que le dimanche matin et uniquement à notre usage. Elle a commencé par organiser les heures musicales en 1989, puis a décidé d’ouvrir le temple très largement à la population mulhousienne pour qu’elle se l’approprie. On n’a aucune dimension prosélyte : on veut simplement que le Mulhousien aime sa ville, et en soit fier », explique Roland Kauffmann.
De la fierté, ce natif de Mulhouse n’en manque pas. Il avoue un « rapport fusionnel avec cette ville » lié à son histoire personnel, à l’histoire de la ville et du protestantisme. Et lui qui se rêvait architecte se sent l’héritier des bâtisseurs de l’époque industrielle : « Il y a eu une alchimie à la fin du XVIIIe siècle, des entrepreneurs protestants qui ont mis en commun leurs innovations au service de la technique, de l’économie, de l’art, etc. La Société industrielle de Mulhouse était un laboratoire d’idées, chacun les mettaient sur la table, et libre aux autres de les saisir. Aujourd’hui, il y a des agitateurs d’idées à Mulhouse, et comme c’est une petite ville, on a une relation très directe et de confiance, et on bénéficie des propositions faites par d’autres. Le temple, c’est comme le moyeu d’une roue, un espace vide où vient se greffer plein de choses », se réjouit Roland Kauffmann.
Cette année, ce ne sont pas moins de 90 événements qui sont programmés. Si Mozart ou Debussy font depuis longtemps résonner les murs des églises partout en France, il est plus rare de voir débouler un groupe de rock psychédélique, affublé de peignoirs et de perruques, dans un temple, comme ce fut le cas pour Connan Mockasin lors du festival TGV Génériq l’an dernier. Et cette audace, c’est à Roland Kauffman qu’on la doit : « Pour moi, la dimension spirituelle n’est pas que dans les églises. Quand Conan Mockasin vient –selon moi la plus belle proposition au temple – il n’a pas de prétention religieuse, mais il exprime ses sentiments sur la vie d’aujourd’hui, il se confronte à la réalité de la société, questionne le vivre ensemble. C’est ça la spiritualité. On ne cautionne pas tout ce que les artistes disent mais on leur donne la possibilité de le faire. L’appartenance confessionnelle d’un artiste m’est complément indifférente. Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il a à dire et ce qu’il propose. »
Si le temple est un lieu si ouvert, c’est aussi parce que le protestantisme permet des choses que le catholicisme ne permet pas : l’église est toujours un lieu sacré où Dieu est présent physiquement alors que le temple devient lieu de culte uniquement quand les paroissiens sont rassemblés. « Le temple protestant n’est pas dans une logique de profanation : je n’aimerais pas une performance qui soit blasphématoire, mais quand bien même, cela n’engage que l’artiste lui-même, il ne va pas souiller Dieu. Il touche à l’image, au symbole, mais pas à la réalité. La seule chose que je refuse de la part d’un artiste, c’est l’indifférence, s’il veut faire un truc sans se préoccuper de comment les gens vont le recevoir ou se préoccuper du lieu ».
Ne pas tomber dans la facilité tout en veillant à la dimension spirituelle, un fragile équilibre à tenir. Mais les statistiques de fréquentation du temple donnent raison à Roland Kauffmann : 50 000 visiteurs au temple en 2009, 85 000 en 2011, la barre des 100 000 probablement franchie cette année. Lui qui est devenu pasteur par défi, parce qu’il voulait voir s’il était capable de faire mieux que les autres, c’est-à-dire ramener des paroissiens dans les églises qui se vidaient peu à peu, semble tenir son pari.
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