Propos recueillis en octobre 2012.
© Sandrine Bavard Tom Borocco dans le Conservatoire des arts techniques graphiques à RibeauvilléTom Borocco se sent un petit seul. Il est l’un des derniers, si ce n’est LE dernier, lithographe en France. « Je suis l’un des derniers à avoir tous ses brevets lithographiques, l’un des deniers à pouvoir faire passer des examens. Je voulais même concourir au titre de meilleur ouvrier de France, mais je ne peux pas, car je serai le seul à pouvoir juger de la qualité de cette pièce… », déplore-t-il.
Certains, moins soucieux de la tradition, l’on même accusé d’ « intégrisme ». Pas sûr qu’il ait pris ça pour une insulte, lui qui recherche à tout prix la perfection d’antan, scrute encore et encore les images d’autrefois. Si l’homme est exigeant, voire intransigeant avec son art, c’est qu’il a un lourd héritage à porter : l’atelier familial, ouvert en 1852, a répondu à des commandes prestigieuses : Hansi, Noack, etc. Depuis son enfance, il baigne dans les odeurs d’encre et de térébenthine, dans ce bruit des machines et des images désuètes. L’atelier était un peu son terrain de jeu, une piste pour faire du patin à roulettes ou des démonstrations hasardeuses : « Un samedi après-midi, pour épater les copains, j’ai pris un rouleau, une pierre, et je l’ai passé à la machine : elle en est ressortie toute noire ! Quand mon père a découvert l’affaire, il m’a dit que je passerai tout mon jeudi à rester près du lithographe pour voir comment il travaillait. Mon premier cours de lithographie était en fait une punition ».
Alors que Tom Borocco se meurt d’ennui et se rebelle contre l’éducation nationale au Collège Saint-André, son père décide de l’envoyer dans un lycée technique pour apprendre le métier : « Quand il a vu la liste d’outils que me demandait le lycée à Colmar - un rabot, un niveau, une équerre… - il s’est écrié : mais, je ne veux pas faire de toi un menuisier ! Il m’a trouvé une place à l’Institut Denis Diderot à Lille, et du jour au lendemain, je suis parti et j’y suis resté quatre ans ». Il poursuit sa formation à l’école Estienne à Paris où il se confronte aux techniques modernes : photogravure, PAO, système photomécanique… Il aurait pu choisir la modernité, il a choisi la tradition.
Il entre en 1963 au service de l’entreprise familiale, au moment même où les presses impriment leurs dernières lithographies. L’atelier fait place aux techniques modernes, dites offset, et réalise divers travaux : carte de visite, faire part, affiches… Tom Borocco en devient le patron en 1969 : « Du jour au lendemain, je suis devenu chef d’entreprise avec cinq employés, devant assurer la production, les achats, le démarchage, la commercialisation... Je suis devenu l’homme orchestre alors que je n’étais qu’un technicien ».
Mais il n’abandonne pas la lithographie, parcourant les salons avec sa presse, pour transmettre sa passion. Il reçoit des commandes exceptionnelles, avec des artistes de renom : Raymond-Emile Waydelich, Tomi Ungerer, Jean-François Charles, Jean-Claude Mézières, Plantu … « Je me revois chez Uderzo puis traversé tout Paris avec mon caillou. On n’a pas le droit à l’erreur dans ces cas-là. J’ai jamais été bon pour gagner de l’argent, mais j’ai réussi ce genre de challenge dans ma vie. »
S’il n’a jamais abandonné, c’est grâce à ses années de service militaire explique-t-il, où il a rejoint les troupes alpines et l’équipe de France militaire, participant à des compétions internationales de saut à ski : « Cela a duré 18 mois, mais c’était une intensité de vie énorme. Si je n’avais pas été aussi sportif que ça, je crois que n’en serai pas arrivé là aujourd’hui. Dans le sport, il faut s’entraîner dur, faire des gestes répétitifs, pour gagner. En lithographie, c’est pareil ! Je ne voulais pas faire de la tampongraphie (sic), mais être le meilleur en lithographie.»
Lire aussi notre article sur le Conservatoire des arts techniques graphiques à Ribeauvillé
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