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Rencontre avec Pierre Fluck, archéologue industriel

Pierre Fluck, originaire de Sainte-Marie-aux-Mines, professeur d'histoire des sciences et des techniques à l'Université de Haute-Alsace depuis 30 ans, est chercheur en archéologie industrielle. Il nous plonge dans toute la richesse du patrimoine mulhousien, avec son livre Mulhouse, Trésors d'usines.

Propos recueillis en février 2012.

Pierre Fluck sur le site reconverti de la Fonderie © Sandrine Bavard Pierre Fluck sur le site reconverti de la Fonderie

Archéologie industrielle. Une notion qu'on pourrait croire antinomique, tant on imagine l'archéologue pratiquant des fouilles, retournant la terre à la recherche de vestiges romains, médiévaux, ou d'une autre époque lointaine. Pierre Fluck, pionnier en France dans l'enseignement de cette discipline, membre de l'Institut universitaire de France, remet les points sur les i : « L'archéologie est l'étude du passé en rapport avec l'homme. Y-a-t-il une date limite ? Pour moi, l'archéologie s'arrête hier. Et puis si l'industrie, c'est la division du travail, la production en grande quantité, des circuits de vente, on trouve déjà tout cela sous Louis XIV, au Moyen Âge, au temps romain, et même à la Préhistoire. J'organise par exemple des fouilles sur l'extraction des métaux au Moyen Âge, dans le Massif vosgien. Il existe aussi une archéologie du bâti, de ce qui ce voit, par exemple avec la pyramide de Khéops », explique le chercheur, également codirecteur du Centre de Recherche sur les Economies, les Sociétés, les Arts et les Techniques (CRESAT).

De la géologie à l'archéologie

S'il y a suffisamment de spécialistes sur l'Egypte antique, il y en a peu qui s'intéresse au grand essor de l'industrie du XVIIIe jusqu'au XXe siècle. Pierre Fluck n'y est pas arrivé par hasard, quoiqu'il n'y était pas spécialement destiné. De formation scientifique, il a été doctorant en histoire, a réalisé deux doctorats en géologie. « Il y a un fil conducteur dans mon parcours : la géologie des profondeurs. J'étudiais la métallogénie, la genèse des concentrations métallifères dans l'écorce terrestre, et pour cela j'allais sous terre pour étudier les failles et les filons. En parcourant les anciennes galeries de mines, je n'étais pas insensible à certaines questions : qui étaient ces gens qui ont creusé ces galeries ? Quelles techniques utilisaient-ils ? Comment vivaient-ils ? Pour le comprendre, une démarche s'impose, celle de l'archéologue, et l'on peut dire que j'ai été au fondement de l'archéologie minière dans les années 70. » Et c'est ainsi que petit à petit, Pierre Fluck est remonté à la surface, s'intéressant aux fonderies de métaux, puis à l'ensemble des techniques.

Mulhouse, totalement originale

Quand il est nommé en 1992 professeur d'histoire des sciences et des techniques à l'UHA, un nouveau terrain de jeu s'offre à lui : l'industrie ; avec un nouveau terrain de chasse : Mulhouse. « Même en tant qu'ancien habitant de Strasbourg, j'ai toujours trouvé Mulhouse plus fascinante. Elle est totalement originale : c'est une petite ville médiévale qui tout d'un coup se développe de façon exponentielle, en embrassant totalement l'industrie. Il y a notamment la création de la Société industrielle de Mulhouse, un prototype en Europe continentale. Et puis regardez la Cité comme c'est un joli quartier, regardez les villas patronales, la beauté des usines de briques ! », s'enthousiasme-t-il.


Mulhouse, belle ville ? On entend déjà pouffer certains Alsaciens... Pierre Fluck lui, à sa manière, veut faire passer ces friches au statut de patrimoine, avant qu'il ne soit trop tard : « A Mulhouse, les plus beaux fleurons sont entrain de disparaître. La vieille filature DMC, la dernière grande filature datant de la révolution industrielle en Europe, notre équivalent du Parthénon dans la Grèce antique, est entrain de s'écrouler. La manufacture Weber, très belle et rare, est sous le coup d'un permis de démolir depuis un an. C'est dommage qu'il n'y ait pas de politique globale sur le patrimoine industriel à Mulhouse, car la ville avait des atouts pour prétendre à une reconnaissance par l'Unesco. »


Le chercheur, qui se dit ni passéiste, ni nostalgique, mais tourné vers l'avenir, souhaite des reconversions pour ces sites industriels. Il a déjà arpenté une quinzaine de pays en Europe pour étudier certains modèles, a ramené 20 000 clichés de ces voyages. Et de citer l'exemple de Norrköping, le « Mulhouse suédois », où une vingtaine d'usines textiles le long du canal ont été reconvertis en université, maison de la culture, entreprises, restaurants, appartements... « Notre équipe de recherche dispose d'un catalogue de toutes les formes possibles de reconversion, nous pouvons aider et conseiller les propriétaires, les élus, dans leur décision», plaide l'universitaire. S.B 

Mulhouse, Trésors d'usines

Pour qu'une friche industrielle accède au statut de patrimoine, il faut un travail d'explication et de médiation du chercheur. C'est ce que se charge de faire Pierre Fluck avec son livre Mulhouse, Trésors d'usines, richement documenté et illustré, réalisé avec l'architecte Jean-marc Lesage. Un travail de « bénédictin », où le chercheur s'est plongé dans les archives municipales et départementales, et effectué également un grand travail sur le terrain pour dénicher des traces du passé. Par exemple, ces petites manufactures lovées dans le vieux Mulhouse, comme une brasserie rue des Franciscains, une teinturerie rue des Trois- rois, ou encore ces industries polluantes, utilisant des déchets d'animaux, des produits toxiques, dans les faubourgs à l'Est de la ville. L'ouvrage se lit à deux niveaux : un texte général et historique, et des fiches pratiques qui décrivent un site, pour inciter les lecteurs à déambuler dans la ville. Et pourquoi pas, y porter un nouveau regard...

Mulhouse, Trésors d'usines, Le Verger éditeur, 25€

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