Rencontre avec Marcel Recher, peinte globe-trotteur

Les voyages ont été le moteur de sa vie « pour faire le plein d'impressions ». Marcel Recher, connu pour ses peintures et structures métalliques, est un globe-trotter qui a été jusqu'à la Nasa, à Houston, pour discuter... des couleurs de la terre vue du ciel avec l'astronaute Franck Borman.

Propos recueillis en août 2011.

Marcel Recher, 85 ans, n'exclut pas de repartir en voyage. Je suis un globe-trotter, dit-il. © Sandrine Bavard Marcel Recher, 85 ans, n'exclut pas de repartir en voyage. "Je suis un globe-trotter", dit-il.

Marcel Recher nous reçoit dans sa vieille bâtisse à Osenbach, une maison en piteux état quand il l'a rachetée à 70 ans – une « folie » lui a-t-on prédit à son âge – qu'il a retapée lui-même pendant 5 ans. Il ne supporte pas que les autres fassent les choses à sa place, parce qu'à une époque il a lavé la vaisselle des soldats dans l'armée allemande pour avoir un bout de pain en plus, parce qu'à une autre, il a lavé des vitres dans un palace sur la promenade des Anglais à Nice alors qu'il espérait faire de la peinture. Il en a gardé un principe : « Il faut toujours travailler pour mieux vivre. »

Une rupture entre deux époques

Né en 1926 à Strasbourg, Marcel Recher est adopté par une famille de Sessenheim et grandit fasciné par les évolutions technologiques dans une époque encore très rurale : « J'ai connu les toilettes dans le jardin, les champs qu'on labourait avec les vaches, les chevaux de traits dans les rues de Strasbourg... Je me souviens encore quand ils ont goudronné la nationale entre Wissembourg et Strasbourg pour le Tour de France, des premières voitures qui passaient dans le village après lesquelles on courait... On n'était pas pauvres, on ne savait pas qu'il y avait des riches. C'était la vie, personne ne pensait que ça allait changer. » Puis arrive la rupture : les rassemblements, les marches, les chants, à la gloire d'Hitler, puis l'incorporation dans l'armée allemande et la guerre.

En 1945, Marcel Recher revient dans une Alsace en plein chaos : « Après la guerre, on vivait avec ce que l'on avait : il n'y avait plus de bétails, plus rien. Les gens étaient complètement déboussolés, ils soupçonnaient les autres d'être collabo, s'insultaient, se bagarraient, et se rattrapaient le week-end dans les bals. Ah oui, pourvu que ça danse ! L'alsacien peut être très vulgaire, des mots qui n'existent même pas dans la langue française. Je ne supportais pas ça, je voulais vivre en paix. »

L'Amérique et la Nasa

Le jeune homme embarque à bord de l'Azrou en 3e classe pour Casablanca, ne sachant même pas placer cette ville sur une carte, pour peindre. Il trouve un travail comme employé puis comme chef d'équipe dans une firme américaine qui construit des bases d'atterrissage pour des bombardiers atomiques B47. Au bout de six années, il revient en France, se marie et s'installe à Mulhouse dans un monde différent, « une vie nouvelle pour tout le monde ». Puis l'Alsacien fait le voyage déterminant de sa vie en 1966 : l'Amérique. Il voyage sur un bateau de céréales d'un ami allemand depuis Hambourg, « 10 jours de mer, 10 jours de tempête », avant d'arriver à Montréal qui lui fait forte impression, mais pas autant que New-York. « Je sortais tous les jours dans la ville à tel point que le soir je n'avais plus la force de marcher. A Brooklyn, je suis monté dans un gratte-ciel avec vue imprenable sur le parlement, l'East River et les autres bâtiments, j'ai fait des croquis et après des tableaux... Pour partir aux Etats-Unis avec si peu de connaissances, faut être naïf ».

Heureusement, il a emmené son carnet d'adresse avec lui. Il file à Dallas chez des Américains qui lui ont acheté des tableaux lors d'une exposition à Paris, découvre le luxe et l'effervescence d'une ville assise sur l'or noir. Il a surtout en poche un précieux sésame, une lettre de Franck Borman, astronaute américain, pionnier de l'espace, qui a participé à la mission Apollo 8, la première à survoler la lune, à qui il avait écrit pour lui demander « quelle était la réflexion des couleurs de la terre vue du ciel ». Grâce à Franck Borman, il visite le centre de la Nasa à Houston, « le premier français à y mettre les pieds ».

Des Etats-Unis, il revient avec une nouvelle conception : « Je voyais tout en grand, plus haut, plus loin. J'y ai découvert le verticalisme et ma ligne de conduite qui m'a permis d'aller jusqu'à l'architecture. » Il crée alors ses structures métalliques qu'il reviendra présenter à la Nasa. En 1973, pour le retour d'Apollo 17 au Cap Kennedy en Floride, il dévoile à la presse une cité tridimentionnelle et modulaire et une structure commémorative de 150 mètres des premiers pas de l'homme sur la lune. En 1982, alors qu'il représente la France pour le tricentenaire de la présence française à la Nouvelle-Orléans, il imagine une structure enjambant le Mississipi, de 50 mètres de haut et de 600 mètres de large. Des projets pharaoniques restés dans les cartons, mais qu'il ne désespère pas de voir réaliser un jour. « C'est utopique de mon vivant mais après ? »

 Son oeuvre

« Tout ce qui est beau m'impressionne », déclare Marcel Recher. L'artiste a longtemps fait du figuratif : des roses qui pour lui sont bien plus que de simples fleurs, des céréales parce qu'il était amoureux d'une femme qui lui a fait découvrir les couleurs qu'il y avait dedans, des gratte-ciels qui l'ont fasciné dès son arrivée en Amérique... Mais son sujet de prédilection est sans doute les voiliers, « ces îles flottantes, probablement la plus belle création de la main de l'homme.» Il a eu aussi sa période automobile dans les années 80 : « J'étais à court de sujet, j'ai entendu parler de la collection Schlumpf à cause des manifestations contre le musée. Je suis devenu ami avec le directeur qui m'a suggéré de peindre des automobiles. J'ai fait des centaines et centaines de croquis jusqu'à ce que je prenne le coup de main. Quand on démarre un nouveau sujet, il faut du temps pour l'approfondir, ça m'a pris quatre ans. » Et puis il y a ces toiles abstraites, l'art de « purement ressentir les choses » qui abondent dans son œuvre, constitués de 2800 planches et plus de 700 tableaux.

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