Propos recueillis en février 2013.
Marc, vous êtes un grand chef triplement étoilé, fier représentant de la 4ème génération de Haeberlin derrière les fourneaux : cette excellence ne vous étouffe-t-elle jamais ?
Non, je suis serein ! Déjà parce que j'ai le sentiment d'exercer l'un des plus beaux métiers du monde. On rend les gens heureux pendant deux ou trois heures autour d'une table. Les bons produits ont forcément un prix, ils les paient cher, mais viennent quand même vous dire merci après. Quand votre garagiste vous répare votre voiture, vous ne lui dites sûrement pas merci après la note ! (rires) Enfin, il faut dire aussi que mon père, Paul, a obtenu les trois étoiles Michelin en 1967... A cette époque, il n'y avait pas la même pression qu'aujourd'hui. Aucun média n'en avait parlé, il n'y avait eu absolument aucun article dans la presse locale, ni le lendemain, ni la semaine qui a suivi, rien de rien ! Enfant, je donnais régulièrement un coup de main dans les cuisines, il y avait encore peu d'employés, tout s'est fait petit à petit, sans que ça ne me pèse. La seule vraie épée de Damoclès, c'est en mars, lors de la parution du Guide Michelin. Les trois étoiles, c'est le Graal du cuisinier. Alors là, c'est sûr, on attend toujours les résultats avec impatience, avec la goutte de sueur sur le front...
La tradition familiale est très présente à l'Auberge de l'Ill. Plus jeune, vous n'aviez pas d'autres rêves, d'autres plans.. ?
Quand j'ai pris la suite de mon père, cela coulait de source, c'était un cheminement parfaitement logique, je ne me suis pas posé de questions. Je me suis toujours très bien entendu avec mon père, un seul regard suffisait pour que l'on se comprenne. On aimait travailler ensemble. Qu'est-ce que j'aurais fait d'autre ? Peut-être garde-chasse, car quand j'étais petit, le garde-chasse du village m'emmenait souvent en balade avec lui. Ou alors pilote automobile... mais j'ai bien fait de ne pas en faire mon métier, je serais déjà sûrement mort !
Quelle est votre part de présence à l'Auberge de l'Ill ?
Mis à part quand je suis en déplacement professionnel, je suis là tout le temps, de 8h à minuit. C'est ça, mon vrai plaisir, c'est d'être présent, de parler avec toute l'équipe, de régler tous les petits détails qui clochent. Le secret du bon fonctionnement d'un établissement, c'est de savoir bien s'entourer, de former une bonne équipe, ce qui est le cas à l'Auberge de l'Ill. J'ai la décision finale sur tous les plats. Le plus dur, d'ailleurs, ce n'est pas de trouver et de réaliser des nouveautés, c'est d'arriver à faire réexécuter un plat de mon père, à la recette inchangée depuis 50 ans, comme la Mousseline de grenouilles - qui est un peu une "Madeleine de Proust" pour certains fidèles du restaurant.
Avec un tel investissement professionnel, vous reste-t-il du temps pour vous ? Vous regardez les émissions culinaires à la télévision, du genre Masterchef ou pas du tout ?
C'est vrai, j'ai peu de temps pour moi. Je fais un peu de peinture, un peu de ski. Je vais à un cours de yoga une fois par semaine. Mon prof me dit qu'il y a impossibilité pour moi de me relaxer. Je ne me relaxe qu'en travaillant ! Ces émissions culinaires, je suis ça de loin, elles valorisent la gastronomie, c'est le point positif. Ce que je regrette un peu, c'est leur format, axé sur le spectacle. Avant, on regardait Maïté ou Robuchon vous donner une recette. Maintenant, on attend surtout qu'une petite rate son soufflé pour filmer ses larmes en gros plan. Mais si ça peut amener un public plus jeune vers la bonne cuisine, tant mieux. Il existe d'ailleurs des Formules Jeunes pour les moins de 35 ans à l'Auberge de l'Ill, avec des menus complets pour 100 euros par personne.
Est-ce qu'un triple étoilé Michelin se fait un McDo ou une barquette de lasagnes Findus, les soirs de fatigue ?
(Rires) Je n'ai jamais mangé au McDo ! Pour moi, ce sont des usines à marge. Si j'appliquais les mêmes marges, il n'y aurait plus que quelques émirs et le Sultan de Brunei qui pourraient manger dans mon restaurant. Alors que McDo paie des étudiants au lance-pierre, et n'a pas des salaires de Meilleur Sommelier ou Meilleur Ouvrier de France à couvrir... Mon point faible, ce serait plutôt les nounours Haribo ! Pour un repas sur le pouce, du bon pain et du saucisson. Concernant l'allusion aux lasagnes, il y a deux choses qui me scandalisent : d'un côté, cette confiance aveugle aux étiquettes, alors qu'on voit bien qu'on peut faire n'importe quoi derrière. Et de l'autre, de savoir que toute cette nourriture a été jetée et détruite parce qu'elle contenait de la viande de cheval. Elle n'était pas porteuse de germes ou de listeria, on pouvait parfaitement la manger, cette viande. Il y aurait sûrement eu mieux à faire que de tout balancer.
Où :
Auberge de l'Ill ** - Illhaeusern 68970 Illhaeusern
Contacts :
03 89 71 89 00
auber
www.a
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