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Rencontre avec Jean-Marie Meshaka, responsable du Théâtre Poche Ruelle

Jean-Marie Meshaka, arabe chrétien et francophone, qui vit en France depuis plus de 30, est une figure incontournable du théâtre à Mulhouse.

Propos recueillis en avril 2011.

« Sans jouer les anciens combattants, je dois être à 60 créations depuis que je suis à Mulhouse »,
précise Jean-Marie-Meshaka, ce chirurgien dentiste qui est devenu une figure du théâtre mulhousien. Et le pari n'était pas gagné d'avance pour ce Libanais venu en France en 1975 au moment où la guerre éclate dans son pays. Une trajectoire qui force le respect, tant elle a été marquée par les heurts et les malheurs.

Jean-Marie Meshaka dans le théâtre du Poche-Ruelle © Sandrine Bavard Jean-Marie Meshaka dans le théâtre du Poche-Ruelle

Jean-Marie Meshaka, d'origine libanaise, est né au Caire en Egypte, dans une famille francophone et chrétienne. Il fait ses études au collège des jésuites où il a une révélation à 7 ans – non celle de Dieu, God, Gody ou Godot comme il l'appelle et l'interpelle dans sa pièce Gueules d'automne- mais celle du théâtre : « La découverte de cet univers m'a frappé comme un coup de foudre. Je n'osais plus regarder ou jouer avec mon ami que j'avais vu sur scène tellement il s'était passé quelque chose en moi.» L'année suivante, il entre lui aussi en scène grâce au père Matthieu et ne quittera plus de sa vie les plateaux de théâtre. Il crée sa première troupe de théâtre à 17 ans au Caire, monte du Anouilh et du Giraudoux, et fera même jouer la vedette égyptienne Omar Sharif. Son père voit d'un mauvais œil cette vocation naissante : « Ce fut un grand drame familial. J'ai dit à mon père : je ne sais pas où, ni comment, ni avec qui, mais sache que je rentre en fac de médecine pour te faire plaisir et qu'un jour j'enverrais tout ça promener. Mon père m'a répondu : on dit tous ça à 18 ans. Aujourd'hui, je suis fier de l'avoir fait ! »

Il frôle la mort

Alors que la situation se complique pour les étrangers et les chrétiens en Egypte avec l'arrivée de Nasser au pouvoir, Jean-Marie part à 18 ans à Beyrouth pour suivre des études à la faculté de médecine française. Il se marie, a deux enfants, devient dentiste et professeur d'université, joue et met en scène dans une troupe de théâtre. Mais sa vie bascule avec la guerre du Liban.

Sa femme et ses enfants ont trouvé refuge chez une cousine à Mulhouse. Lui retourne sur place en pensant que les événements se tasseraient... Mais la guerre le rattrape dans le bus qui le conduit à l'aéroport, alors qu'il veut retourner en France pour fêter Noël en famille : « Deux chrétiens ont été abattus sous mes yeux, je devais être le troisième mais une estafette de l'armée est arrivée à ce moment là. Et pendant que j'étais mis en joue, la seule chose qui m'inquiétait, c'était de savoir comment faire pour qu'on sache que j'allais mourir sur ce trottoir et qu'on me mette en terre, car à l'époque les cadavres s'entassaient dans les rues de Beyrouth. Ca m'a tellement troublé qu'une des premières pièces que j'ai montées est Antigone : ensevelir un corps pour ne pas le laisser errer. »

Repartir à zéro

Après avoir tout perdu dans la guerre du Liban, Jean-Marie Meshaka repart à zéro à Mulhouse. Le tourbillon de la vie le happe de nouveau : chirurgien maxillo-facial à l'hôpital le matin, dentiste dans son cabinet l'après-midi, comédien le soir au théâtre de Poche. Puis il prend son envol en créant en 1982 le théâtre de la Ruelle : il écrit, met en scène, se produit à l'Espace 110 à Illzach avec sa troupe, pendant 11 ans.

En 1992, la mairie lui confie les classes d'art dramatique du conservatoire de Mulhouse : « J'ai essuyé pas mal de plâtre jusqu'à ce que les gens se rendent compte que je buvais, je mangeais, je vivais théâtre ». Puis en 1998, il revient à la tête du vénérable théâtre de Poche auquel il adjoint le nom de sa troupe Ruelle : on y compte 25 créations reflétant l'éclectisme du metteur en scène, de Shakespeare à Joseph Losey, de Feydeau à Eduardo de Filippo : « J'aime beaucoup me promener, je vais dans tous les genres, dans toutes les époques, je refuse les étiquettes. J'ai des coups de cœur que je veux partager avec le public ». On pourra néanmoins retrouver un fil conducteur dans ses écrits : une aversion certaine pour la médiocrité. Dans Lettres à mon chien, il met en scène un couple de la quarantaine qui rencontre leur conscience dans un train. Dans Le Distancier, un homme fait croire qu'il est mort et s'invite à la table de son propre enterrement.

Homme engagé, Jean-Marie Meshaka est branché sur le fil de l'actualité : « Mon théâtre peut servir à divertir mais aussi à mettre le doigt sur un truc qui fait mal. Je n'arrive pas à couper le cordon ombilical avec la cité, je continue de me révolter. Je sais que c'est un combat de Don Quichotte mais il faut bien que la vie ait un sens, sinon on va à la pêche, on joue aux cartes ».

Alors, quand les révoltes chassent un à un les dictateurs dans le monde arabe, comment réagit celui qui a parfois envie de jeter la télé par la fenêtre devant le JT ? «Pendant 20 ans, il y avait comme un encéphalogramme plat dans le monde arabe. Alors le seul adjectif qui me vienne est « rafraîchissant ». Quelle joie de voir sur la place Tahrir les musulmans faire une prière et les chrétiens célébrer une messe côte à côte ! Mais je demande à voir la suite.»

Repère :

1976 : arrivée à Mulhouse
1978-81 : entre au théâtre de Poche
1982-1993 : crée le théâtre de la Ruelle
1992-2004 : dirige le conservatoire d'art dramatique de Mulhouse
Depuis 1998 : responsable du Théâtre Poche-Ruelle

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