Illia Delaigle nous accueille en toute décontraction dans la tanière de sa compagnie, Kalisto, sur l'avenue Aristide Briand à Mulhouse. Café filtre, clopes qui s'enchaînent, rires et éclats de voix. Les comédiens de la compagnie défilent, rentrent et sortent, projetant cette énergie communicative immédiate si propre aux artistes. Le metteur en scène, tout juste quadra, qui connaît très bien sa ville, aime faire les choses sérieusement... mais sans trop se prendre au sérieux. C'est sans doute ce qui le différencie de la plupart de ses pairs. « Je ne viens pas du tout d'une famille artistique. L'art, au sens large, ne m'intéressait pas avant mes 20 ans. Moi, mon truc, c'était fumer des joints et jouer à PES toute la journée », se marre Illia Delaigle, qui avoue sans détour avoir été en échec scolaire, clairement « pas à sa place dans cet univers un peu étriqué. » Il ironise : « J'avais de nombreux avertissements pour ma conduite - je ne vois pas pourquoi, puisque je n'allais jamais en cours. »
© Mike Obri Illia Delaigle prend le pouls de la ville (et manque de se faire écraser, aussi, faut dire)En Arts du Spectacle à Metz, il rencontre des jeunes gens dont il se sent enfin proche. Il prend goût à la mise en scène puis suit des formations professionnelles à Paris et au Bélarus, à l'Académie des Arts de Minsk : « Une grosse claque, où on aborde tous les courants du théâtre, le physique, le psychologique. Et si t'aimes Tchekhov, quel héritage ! » Mais qu'est-ce qui lui plaît donc tant dans le théâtre ? « La possibilité de créer de petites bulles dans la vie des gens, du supplément de vivant ! Je ne suis pas manuel, je ne sais pas dessiner, ma créativité s'exprime par l'organique. Le théâtre permet de parler du monde, de le critiquer, d'être politique sans faire de politique », détaille-t-il.
Longtemps, il continue de bosser à côté pour payer les factures et remplir son frigo : « Je vendais des abonnements à Canal+. J'ai même fait la grenouille chez Okidok ! » Fou rire.
En 2009, il monte la compagnie Kalisto à Mulhouse, tournée vers la création contemporaine. Un virage est pris avec le festival de micro-théâtre, La Nuit des Compagnies, complètement dans l'esprit Kalisto. « Plein de petites propositions, tu choisis ce que tu veux voir, t'as 15 minutes de spectacle, c'est le prix d'une bière. ça désacralise le théâtre, ça bouscule les formats et ça remet le spectateur au centre du truc. Le public du théâtre ne se renouvelle presque plus. Mon boulot, c'est de titiller le système, d'aller chercher tout le monde, de coller à la réalité du territoire, de tous les Mulhousiens. Ce qui m'intéresse, c'est comment on fabrique du théâtre aujourd'hui, en 2022, plutôt que de faire comme on faisait en 1960 », explique Illia Delaigle.
Citons sa création originale L'Hôtel Mamour : un spectacle qui prend la forme d'un faux lupanar délirant, où l'on entre seul dans de nombreuses chambres, où à chaque fois, un acteur ou une actrice vous attend avec une performance plus ou moins perchée. Intime. Juste pour vous. Du génie. « Mais je me pose des questions pour 2023. En ce moment, pas facile de se maintenir pour une petite compagnie mulhousienne en-dehors des conventions. »
Une chanson en boucle ?
« Il suffira d'un signe » de Jean-Jacques Goldman.
Votre livre de chevet ?
Mon téléphone !
Un film ou une série qui vous a marqué ?
« Pierrot le Fou », avec Belmondo.
Une personnalité admirée ?
(Ndlr : après une réflexion interminable) Dimitri Payet ! Oui, le footballeur ! (Rires)
Un café ou resto dans le coin ?
Un café chez Omnino.
Votre dernière grande joie ?
Franchement ? Rien, je crois.
Votre dernière grande colère ?
Les vigiles d'un centre commercial du coin. J'ai traversé le rez-de-chaussée avec mon chien : c'est interdit. Je me suis excusé. J'étais à 3 mètres de la sortie vers laquelle je me dirigeais de toute façon. Ils m'ont demandé de faire demi-tour et de ressortir par l'entrée, complètement à l'autre bout. Ils n'ont pas su m'expliquer pourquoi cela n'avait aucun sens.
Truc préféré en Alsace ?
La qualité des transports en commun par rapport à d'autres régions. (Ndlr : la photo devant un bus Soléa est un pur hasard)
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