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Darek Szuster, photographe de presse : photographier la guerre en Ukraine

Darek Szuster est photographe au journal L'Alsace depuis 27 ans. En février 2022, aux premiers jours de la guerre en Ukraine, il décide d'aller sur le terrain pour y faire son métier. Onze jours qui l'ont fortement marqué humainement. Il nous raconte son expérience. Par Mike Obri

Darek Szuster © DR Darek Szuster

Darek Szuster est un pilier du quotidien L'Alsace, où ses clichés accompagnent régulièrement les textes des différents journalistes-rédacteurs. Il n'avait pas encore eu l'occasion de revenir sur ces onze jours passés à la frontière polonaise et ukrainienne, lors des premiers jours de la guerre, l'hiver 2022. « Quand tu travailles en presse quotidienne régionale, ça ne coule pas de source de partir dans un pays en guerre, à un moment où les lignes de front ne sont pas encore fixées, où l'on ignore encore tout de ce qui pourrait potentiellement arriver », explique Darek. « Pourtant, je me suis dit : il faut que j'y aille ! Je ne me voyais pas continuer à couvrir sagement le festival de théâtre du coin. J'ai demandé l'autorisation à mon responsable au journal et je suis parti comme j'ai pu, en compagnie d'un grand reporter aux DNA, Pascal Coquis. J'ai fait la route jusqu'à Przemysl en Pologne, à moins de 50 km de la frontière avec l'Ukraine. »

Une histoire personnelle

Pour comprendre un peu mieux ce qui se passe dans la tête de Darek à ce moment précis, il convient de souligner que le photographe est né dans l'ouest de la Pologne en 1971. Il a connu le pays avant la chute du Mur du Berlin, le gouvernement communiste et autoritaire du général Jaruzelski - « notre Pinochet à nous » - et le mouvement Solidarnosk de Lech Walesa. « J'ai été politisé dès mon entrée au lycée. En Pologne, ça se passait ainsi. Gamin, vous étiez obligé de grandir un peu plus vite qu'ailleurs. ça a marqué mon enfance. C'est sans doute mon histoire personnelle, mes racines polonaises, qui ont provoqué ce désir de me rendre sur place. Le fait de résister, de s'opposer à toute forme d'oppression, c'est quelque chose qui me touche, c'est un truc très fort chez moi. L'amour de la liberté, la révolte face à la domination : c'est qui je suis ».

A Przemysl, les deux journalistes couvrent l'arrivée du premier train qui achemine des réfugiés ukrainiens. Objectif numéro un : aller à la rencontre des populations touchées par la guerre et recueillir leurs témoignages. Très vite, ils se disent que la frontière n'est qu'à quelques kilomètres, qu'ils doivent essayer de la traverser, qu'ils sont là pour ça. Ils finissent par abandonner leur voiture sur le bord d'un chemin, près d'un petit poste-frontière, persuadés de ne plus jamais la revoir... Ce sera pourtant bien cette même auto qui ramènera Darek à Mulhouse. « Après tout ce que j'avais vu en Ukraine, j'étais si surpris de la retrouver là, intacte, et de repartir avec comme si de rien n'était... Surréaliste. »

Faire sa part

La guerre révèle la nature humaine, où tout artifice du quotidien est supprimé. Il est question de vie et de mort, de débrouille et de destins brisés. « J'ai vu des papas déposer leurs fils, mobilisés. Ce sont des moments qui sont très chargés émotionnellement. C'est dur...Pour moi, ce qui compte, c'est de faire sa part. J'aime me souvenir de cette petite légende : une forêt est en proie à un terrible incendie... chaque animal essaie d'éteindre le feu. L'éléphant, avec sa trompe, est très efficace. Il voit alors un petit colibri s'agiter et s'en moque : "tu ne sers à rien, avec ton petit bec"... Le colibri lui répond : "je sais, mais je fais ma part". J'étais à ma place en Ukraine. Je ne suis qu'un grain de sable, je ne vais évidemment rien y changer, mais j'ai fait ma part », souligne Darek.

Après une semaine passée en Ukraine, au contact de villageois, de milices, de femmes et d'enfants abrités dans une école, et sans autorisations officielles, Darek et Pascal rebroussent chemin et rentrent en France.

Le retour prochain en Ukraine

Dans les semaines qui viennent, Darek devrait finalement repartir en Ukraine. Mais cette fois, avec l'autorisation du Ministère de la Défense, qui facilite les choses sur place. L'une des histoires qu'il compte raconter : la ligne Flixbus Strasbourg-Kiev... toujours en fonctionnement, et qu'il va prendre pour se rendre sur place. Soit 36 heures de bus. « Pour un photo-reporter, faire une zone de guerre, c'est comme une sorte de Graal professionnel. Il y a un aspect adrénaline pure : je me suis senti vide et déprimé pendant des semaines, après mon retour d'Ukraine, tout semble fade. Mais je ne pourrais pas me forger une carapace comme ces grands reporters de guerre. Je ne veux pas vivre sans engagement sentimental. »

 

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