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L'Auberge de l'Ill à Illhaeusern : Trois étoiles Michelin depuis 1967

Chaque mois, dans la rubrique Gastronomie du JDS, pénétrez dans les coulisses des plus grands restaurants étoilés haut-rhinois. Les chefs se livrent. Les secrets de leur cuisine se révèlent. Par Mike Obri

La série consacrée aux étoilés Michelin dans le Haut-Rhin nous a permis de découvrir des établissements prestigieux à la mécanique bien rodée et d'aller à la rencontre de chefs alsaciens au sommet de leur art. Des maestros de la casserolle, des virtuoses de la cuisson, qui pourtant dégagent tous beaucoup d'humilité et une évidente simplicité. Ces traits de caractère sont assurément ceux qui décrivent le mieux Marc Haeberlin. L'Auberge de l'Ill, trois étoiles Michelin depuis 1967 - et deuxième plus longue longévité après Bocuse - est un véritable monument de la gastronomie en Alsace.

Marc Haeberlin en cuisine © Mike Obri Marc Haeberlin en cuisine

Une table au rayonnement mondial. Les paisibles routes de campagne qui mènent à Illhaeusern ont été empruntées par des clients venus de loin, du Japon, des Etats-Unis, d'Angleterre, pour goûter à la cuisine des Haeberlin. Les photos-souvenirs, visibles à l'entrée du restaurant, valent le coup d'oeil. En vous asseyant à l'une ou l'autre table de l'Auberge, vous serez peut-être à la même place qu'Orson Welles, Alain Delon, Sartre, Coluche, Bourvil ou même... la Reine Elisabeth II !

Le plus beau métier du monde

L'Auberge de l'Ill est le lieu de tous les superlatifs. Néanmoins, Marc Haeberlin y poursuit avec une infinie délicatesse l'oeuvre de son père Paul et de son oncle Jean-Pierre sans une once de folie des grandeurs. « Mon objectif n'a jamais changé : c'est rendre les gens qui viennent ici heureux. Qu'ils oublient tout pendant deux ou trois heures. Les distinctions, la médiatisation... cela doit rester secondaire. On fait le plus beau métier du monde. Après avoir réglé l'addition, les clients viennent encore vous dire merci ! Dans quel autre métier cela arrive-t-il ? », sourit Marc Haeberlin qui nous accueille dans les superbes jardins de son établissement, au bord de l'Ill.

Un soleil radieux enchante les lieux. Le vert intense de la pelouse se mèle au bleu immaculé du ciel. Avant d'entrer en cuisine, Marc Haeberlin souhaite nous montrer son nouveau projet, le Spa des Saules, nouveau bâtiment sorti de terre qui ouvre ses portes ce mois-ci après un an et demi de travaux. Salles de massages, bains chauds et froids, piscine extérieure... « Il nous fallait cet équipement pour répondre à la demande, notre hôtel est classé cinq étoiles. J'espère que le spa n'est pas une mode, comme les terrains de tennis dans les années 80. Aujourd'hui, ils ont tout arraché parce que plus personne ne joue au tennis ! », plaisante le chef le plus toqué d'Alsace. Arrive le moment tant attendu. Nous entrons dans la spacieuse cuisine de l'Auberge de l'Ill. Une brigade de 25 personnes s'y active. Aux poissons. Aux viandes. à la pâtisserie. C'est impressionnant. Un vrai spectacle. Qui vous donnerait presque l'impression d'être au théâtre. Scène de joie au fond, aux légumes ! Coup de stress à droite, un oeuf poché joue au récalcitrant.

L'héritage de l'émotion

L'histoire de Marc Haeberlin est liée à celle de son papa Paul, qui a décroché les fameuses trois étoiles en 1967. Marc l'a rejoint en cuisine en 1976, après avoir fait ses classes auprès des plus grands comme Bocuse, les frères Troisgros ou le célèbre pâtissier Lenôtre. « Avec mon père, on se comprenait d'un regard. Ses grands classiques sont restés, ce sont des Madeleines de Proust, la mousseline de grenouille, le saumon soufflé, mais il m'a toujours permis de mettre régulièrement des nouveautés à la carte. Le plus dur n'est pas tant de créer des plats inédits... mais de reproduire fidèlement ses créations originales. La pêche façon Haeberlin est à la carte depuis 50 ans ! », nous explique Marc Haeberlin. Le chef a eu la gentillesse de nous en préparer une en fin de visite. Vive émotion en bouche. La fine glace pistache, la poire marinée avec de la vanille et l'onctueux sabayon au champagne qui la recouvre... s'il était animé, ce dessert serait à coup sûr le petit nounours des pubs Cajoline. « C'est un dessert qui semble désuet aujourd'hui, et pourtant... », souligne le chef à juste titre. Cette assiette est une douceur. L'équivalent culinaire d'un câlin. Subitement, Marc Haeberlin s'écrie : « Oh attendez, j'ai quelque chose dans le four ! »

« Le jour où on trouve que tout est parfait... on est cuit ! »

On en profite alors pour fureter en cuisine. Jean Winter, l'un des deux seconds de Marc Haeberlin, paraît totalement absorbé dans ses pensées : « Je suis en train de calculer si la quantité des marchandises que nous avons en stock va suffire pour le week-end ! » Midi passé mais en cuisine règne une grande quiétude. « C'est vrai, ce calme, on y tient », confirme Jean Winter. On n'y entend pas les mouches voler mais le chef pâtissier siffler. Et chantonner. Son transistor fait résonner Heart of Glass de Blondie au fond des cuisines. Christophe Fischer oeuvre à l'Auberge de l'Ill depuis 35 ans. « C'est un peu mon malheur, plus jeune j'avais envie d'ouvrir mon propre truc, mais je n'ai jamais pu partir d'ici, j'y suis trop bien. Les Haeberlin sont des gens extraordinaires. Et extraordinairement simples ! », s'exclame-t-il, en broyant des amandes.

« Le secret, c'est de s'entourer d'une bonne équipe. Chez nous, il y a une fidélité incroyable », reprend Marc Haeberlin. Serge Dubs, Meilleur Sommelier du Monde en 1989 est en salle et en cave depuis 40 ans ; les deux seconds de Marc Haeberlin, Jean Winter et Jean-Paul Bostoen, Meilleur Ouvrier de France 2011, sont à ses côtés depuis 18 et 16 ans. « Quand mon père nous a quitté en 2008, ça a été dur, mais j'ai eu le temps de le voir arriver, son état se dégradait petit à petit. Le passage de relais s'était opéré au fil des années. Quand il est parti, j'ai immédiatement placé son buste face à la cuisine : il surveille toujours tout ce qui en sort. La disparition de mon oncle Jean-Pierre, il y a deux ans, a été plus brutale, le choc a été d'autant plus rude », avoue le chef.

50 ans au firmament

Monsieur Haeberlin nous propose de goûter son foie gras maison aux algues, puis un succulent bar avec nouilles thaï, samoussa et jus de coriandre fraîche aux résonnances asiatiques. Nos papilles s'excitent façon gamin lâché dans un Joué Club. « On se souhaite de ne jamais connaître le jour où on se dit que tout est parfait... ce jour-là, on est cuit ! Savoir se renouveler sans renier ce qui a été fait avant vous, c'est essentiel. L'hôtel avait besoin d'atouts supplémentaires, on a fait un spa. La déco et la vaisselle du restaurant ont dix ans, on va rafraîchir tout cela aussi. L'autre jour, Bocuse me disait qu'à 80 ans passés, il tremblait toujours autant à l'annonce des résultats du Michelin en février. C'est le Graal pour tout cuisinier. Moi aussi, j'ai la goutte de sueur au front chaque année. Et en 2017, cela pourrait bien faire 50 ans que nous avons trois étoiles... »

Après toutes ces années d'excellence, la passion de la cuisine est toujours intacte pour Marc Haeberlin : « Pour réussir dans ce métier, un jeune doit être courageux et ne pas croire au miroir aux alouettes, toutes ces émissions de télévision autour de la cuisine, qui ne montrent pas vraiment le métier. C'est juste du spectacle. Comme un mauvais film érotique : tu regardes pendant des heures mais tu ne touches jamais à rien ! » Rires en cuisine. Nous nous éclipsons alors, emplis d'allégresse et de nourriture pour l'âme.

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