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64°/Le Chambard à Kaysersberg

« Poésie sur assiette » par Olivier Nasti

Chaque mois, dans la rubrique Gastronomie du JDS, pénétrez dans les coulisses des plus grands restaurants étoilés haut-rhinois. Les chefs se livrent. Les secrets de leur cuisine se révèlent. Par Mike Obri

« Quand un client repart du restaurant, je n'ai pas envie qu'il se dise super, c'était très bon mais : waouh, c'était magique ». Olivier Nasti, c'est 30 années derrière les fourneaux, deux étoiles au Guide Michelin et 17,5 au Gault & Millau, un titre de Meilleur Ouvrier de France en 2007, un hôtel-spa de luxe classé Relais & Châteaux, des livres de cuisine qui cartonnent... et une centaine de salariés sous ses ordres au sein d'un groupe qui porte son nom. « Vous n'avez pas le choix, il faut être aussi bon chef d'entreprise que cuisinier si vous voulez aller toujours plus loin », juge-t-il calmement. Avec ses multiples casquettes, comment se satisfait-il de journées d'à peine 24 heures ?

Dans les coulisses du 64°/Le Chambard © Mike Obri Dans les coulisses du 64°/Le Chambard

« Ma grande fierté, c'est de travailler en famille. Tout seul, vous ne faites rien. Cela dit, même si j'ai des rendez-vous loin de Kaysersberg, j'essaie de ne jamais manquer de services. Je suis en cuisine au moins 95% du temps ».

La vie comme un concours

Le parcours d'Olivier Nasti est spectaculaire. A ce titre, la télévision lui fait régulièrement les yeux doux en l'invitant à participer à différentes émissions culinaires (M6 lui consacre un programme court, qui devrait être diffusé le 21 mars 2016).

« Les plateaux télé ou les sollicitations des médias, je m'y prête de bonne grâce. Je me vois mal dire non, puisqu'on met en avant la qualité de mon travail. Ces émissions culinaires peuvent déclencher des vocations. De mon temps, le CAP Cuisine, c'était la voie de garage. Aujourd'hui, c'est valorisant. Tant mieux, même si je regrette que la télé laisse croire que l'on peut devenir un bon cuisinier en quelques mois. Plus jeune, si Top Chef avait existé, je m'y serais inscrit ! Les concours c'est mon truc : le Meilleur Jeune Espoir, le Taittinger National, le Meilleur Ouvrier de France... L'objectif était toujours d'être le premier. Naturellement, à mon âge, on passe à autre chose ! »

Olivier Nasti, très chasse, très pêche

Né à Belfort mais totalement habité par le vignoble et la vallée de Kaysersberg, Olivier Nasti connaît le coin comme sa poche. Parfois, il se lève de très bonne heure pour aller chasser, seul, dans les hauteurs. Certains chevreuils et chamois dégustés au 64° ont ainsi été tirés par le chef lui-même. Est-il bon chasseur ? Petit sourire, discret hochement de tête que l'on interprète par un oui quand même jamais prononcé par modestie. « Je suis un fan de pêche, j'ai pêché le saumon un peu partout dans le monde. Mais ces dernières années, je passe plus de temps à chasser. Se promener, être dans la nature, ramasser des champignons, cela permet de faire le vide, de réfléchir. Aussi, l'aspect locavore me tient particulièrement à coeur. Le gibier que je sers, je peux vous dire qui l'a tiré - quand ce n'est pas moi - et sur quel massif. La cuisine, c'est la connaissance des produits, de leur saisonnalité et de leur histoire. Avec le temps, on acquiert la technique. Et j'aime bien m'imaginer que les plats sont le prolongement de la personnalité du cuisinier dans une assiette », détaille Olivier Nasti.

Le chef nous prie ensuite de bien vouloir le suivre en cuisine. Le service commence. Sa brigade, l'une des plus importantes de la région, est composée de plus de 20 personnes. Le Chambard, c'est trois entités : le restaurant gastronomique, l'hôtel, mais aussi la Winstub. « Le classement en Relais & Châteaux l'an passé nous a apporté du volume avec une nouvelle clientèle touristique. Le passage à deux étoiles en 2014 s'est également traduit par une hausse d'activité de 25%. Si on est aussi nombreux, c'est qu'il y a de quoi faire ! »

"J'ai travaillé fortement pour en arriver là"

Frédéric, 35 ans, un oeil de lynx et la voix grave, est le second d'Olivier Nasti. Il lâche sa « pince à épiler » avec laquelle il dressait quelques légumes sur une assiette pour nous détailler l'organisation de la cuisine, avec une ligne pour les garnitures, une ligne pour les viandes...

Au fond à droite, nous remarquons une jeune femme dans une petite chambre froide vitrée. « Elle travaille le poisson. La pièce est à 4°, pour garder la fraîcheur du produit », dit-il en pointant du doigt le thermomètre à affichage digital au-dessus de la porte. Si d'aventure vous dégustez un omble chevalier au Chambard, n'oubliez jamais qu'une jeune femme aura passé 3 heures dans une pièce glaciale pour votre bon plaisir ! Une fabuleuse odeur de chocolat nous amène à la rencontre d'Auguste, chef pâtissier de 31 ans, tatouages et écarteurs dans chaque oreille. Ne vous laissez pas berner par son apparence de festivalier échappé des Eurockéennes. Avec une minutie extrême, il réalise de délicats miracles qui se produiront au moment du dessert. Pour rire, nous lui demandons si les glaces c'est du Miko. « Goûtez ce sorbet. Pas trop de sucre, c'est l'astuce. Les glaces, on les fait les jours où on a un peu moins de monde ». Olivier Nasti, d'humeur badine, vient lui raconter la fois où il a balancé des litres de chantilly sur ses collègues quand il travaillait à l'Auberge de l'Ill.

Plus tard, le chef dresse une assiette. Les autres observent. En silence. « Cette reconnaissance ne me déplaît pas, j'ai travaillé fortement pour en arriver là. J'ai aussi servi des repas de merde, quand je testais la cuisine à l'azote à une époque, on peut se tromper parfois, mais toutes les techniques méritent d'être essayées », confie Olivier Nasti. Alexandre, le souriant maître d'hôtel, nous invite à goûter quelques plats. Journaliste, un métier formidable. Blanc de bar de ligne et son jus à la graine de fenouil. Oeuf cuit une heure à 64° et truffe, la signature du chef. Tomber à la renverse. Les papilles qui disent merci. Quand la bouche devient joie. Avant de partir, nous demandons à Olivier Nasti, déjà bien haut sur la montagne gastronomique, s'il aimerait un jour en voir le pic. Les yeux brillent, la bouche reste close. Trivialement, on reviendra.

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