Chaque mois, nous allons à la rencontre des annonceur·euse·s du JDS, acteur·rice·s locaux·ales de la communication et de l’événementiel, pour échanger sur votre parcours, votre vision et vos actions.
Pour ce septième entretien, nous avons interviewé Thomas Ress, directeur de l’Espace 110 – Centre Culturel d’Illzach et metteur en scène de la Compagnie des Rives de l’Ill, qui revenait tout juste de Montréal – où il s’était rendu pour le festival Parcours Danse – après avoir bouclé avec succès la 38ème édition de Bédéciné et réceptionné d’importants travaux à l’Espace 110 démarré pendant l’été dernier.
Un interview passionnant dans lequel il évoque les secrets de son organisation au quotidien, comment se créée et s’organise la programmation et la communication de l’Espace 110, sans oublier son regard sur les enjeux et défis de demain.
“Pour développer mon projet, j’ai simplement repris les recettes que j’avais appliquées au sein de ma compagnie, à savoir de l’écoute, du partage et de la confiance.”
Né en 1986, Thomas Ress s’initie au théâtre dès l’âge de 6 ans aux Tréteaux de Haute-Alsace à Mulhouse. À 18 ans, il monte sa première compagnie amateur, les Aspir’acteurs. Après des études théâtrales à l’Université de Strasbourg, il se professionnalise avec la création de la Cie des Rives de l’Ill, implantée à Illzach. Il crée alors plusieurs dizaines de spectacles dont certains seront joués au Festival d’Avignon ou au Vingtième Théâtre à Paris. Il dirige également plusieurs festivals Reg’Art et les Fenêtres de l’Avent, avant de devenir, en 2015, directeur de l’Espace 110 – Centre Culturel d’Illzach, Tout en conservant son activité de metteur en scène, il y déploie avec l’équipe en place un nouveau projet pour la structure en tenant compte de son histoire et est à l’initiative d’un nouveau rendez-vous : la Quinzaine de la Danse, focus majeur sur la création contemporaine, dont la sixième édition aura lieu du 7 au 26 mars 2024.
(Rires). C’est vrai que ça demande une petite organisation pour tout faire rentrer dans une journée. Et quand bien même. Rien n’est calé au millimètre. Lorsqu’on travaille dans le secteur culturel, il faut savoir être en mouvement, intégrer l’imprévu comme une composante de son quotidien. C’est simple, je n’ai pas l’impression d’avoir fait, ne serait-ce qu’une seule heure, la même chose depuis 10 ans.
Bien évidemment, avec tout ce temps j’ai appris à mieux gérer mon temps, à travailler différemment, en réseau, à mieux collaborer, à déléguer davantage. Et puis, avoir autant de casquettes, c’est aussi un choix. Par exemple, continuer de diriger ma compagnie me permet d’être au plus près des préoccupations des artistes que l’on accueille à l’Espace 110. M’impliquer dans les dynamiques de réseau, c’est pouvoir comprendre les engrenages à l’échelle d’un territoire et d’en être acteur.
Tout cela fait finalement partie du métier et ça nous aide beaucoup au quotidien. Mais oui, c’est un engagement important qui nécessite forcément de faire quelques concessions. Le tout étant de trouver un juste milieu entre passion, engagements professionnels et vie privée. Vaste débat.
Tu as 29 ans lorsque tu deviens directeur de l’Espace 110. Comment passe-t-on de metteur en scène à directeur d’un espace culturel ?
Pour moi, je fais exactement le même métier. Diriger une compagnie, c’est définir et suivre une stratégie, gérer des relations humaines, de l’administratif, des finances … Diriger un lieu c’est finalement la même chose, mais à d’autres échelles.
Lorsque j’ai pris la direction de l’Espace 110 en 2015, le spectacle vivant n’était pas forcément le volet principal de la maison qui était davantage centré sur les activités de loisirs et son festival de bande dessinée. Pour développer mon projet, j’ai simplement repris les recettes que j’avais appliquées au sein de ma compagnie, à savoir de l’écoute, du partage et de la confiance. Par dessus-tout, faire le pari de l’intelligence collective, de l’humain.
Je pense que c’est ce qui fait notre force à tous·tes aujourd’hui et donc celle de notre projet qui ne cesse de bouger, d’évoluer. Au fur et à mesure de toutes ces années et des différents chantiers menés, nous avons tous·tes grandi collectivement et individuellement, en apprenant les un·e·s des autres.
Je suis extrêmement fier du travail accompli. L’Espace 110 est aujourd’hui une véritable référence dans l’accompagnement à la création, le cœur même de notre projet, notre ADN. Ces dix dernières années, nous avons ainsi accompagné plus de 140 compagnies du Grand Est en coproduction, en préachat ou en résidence. 90% des projets que l’on accueille chaque année sont issus du territoire de la Région Grand Est.
L’Espace 110 propose cette saison plus de 25 spectacles et 150 activités de loisirs, accueille 7 résidences de création, sans oublier Bédéciné et la Quinzaine de la Danse. Comment se construit une telle programmation ?
On peut dire que l’Espace 110 est devenu un véritable tiers-lieu, un endroit de vie, une maison dans laquelle cohabitent tout un tas de choses qui, de prime abord, pourraient paraître lointaines les unes des autres mais qui se conjuguent finalement parfaitement pour en faire un tout accessible à tous·tes.
On y retrouve donc une saison culturelle avec une quarantaine de rendez-vous chaque année, des activités de loisirs avec plus de 150 ateliers qui drainent chaque semaine environ 4 000 personnes, le festival Bédéciné et ses 17 000 visiteurs sur 2 jours et enfin une bibliothèque-médiathèque qui se déplace également dans les quartiers de la ville à l’aide d’un vélo-porteur.
À titre personnel, j’assure la direction globale de l’établissement. Un comité de pilotage réunissant les différent·e·s responsables de services accompagne mes réflexions sur le projet. La programmation est ma signature du fait de notre important soutien à la création et se fait dans une temporalité assez avancée. Par exemple, nous travaillons déjà au squelette de la saison 25-26. Cela nous permet de pouvoir créer des projets globaux, dans lesquels on peut faire le lien entre la programmation culturelle, les activités de loisirs et les différents lieux de vie de notre maison.
Pour ce qui est de la programmation culturelle, elle est guidée par le soutien à la création apporté aux artistes issu·e·s de la Région Grand Est et l’esthétisme des formes et du fond de leurs propositions. Nous défendons des œuvres qui interrogent et dans lesquelles la forme va permettre au fond de s’exprimer dans tout son propos, d’amener le public à se questionner, s’interroger.
À l’Espace 110, vous défendez une “culture élitiste” pour tous·tes. Comment cela se traduit-il dans votre façon de communiquer ?
Oui, car je pense que tout le monde peut tout voir. Il n’y a pas de spectacle fait pour tel ou tel public. Mais ça ne se fait pas tout seul. Il y a tout un travail à faire pour rendre les œuvres accessibles au plus grand nombre.
C’est à nous, structure de création et diffusion de mener ce travail sur le terrain pour que chacun·e puisse se sentir concerné·e et ait envie de pousser la porte pour voir ce qu’il se passe derrière. Tout ce travail passe par des projets de territoire, des résidences d’artistes, l’éducation artistique et culturelle, des ateliers, des expositions, nos activités de loisirs… autant d’éléments qui vont être des portes d’entrées pour faire venir le public.
Nous essayons donc d’appliquer ce parti pris dans notre communication avec un geste graphique assumé et des canaux de diffusion de l’information permettant de toucher un public large : une plaquette édité à 15 000 exemplaires et diffusée en local (en partie par le JDS), de l’affichage urbain, des encarts publicitaires dans la presse spécialisée, les magazines mensuels ou encore la presse quotidienne régionale, les réseaux sociaux et beaucoup de relations presse. De ce que l’on peut constater, le papier a encore beaucoup d’impact et cela se ressent énormément dans les réservations pour nos spectacles.
En quoi le JDS contribue-t-il à toucher les habitant·e·s de l’agglomération mulhousienne et à les faire venir à l’Espace 110?
À titre personnel, le JDS m’a accompagné depuis sa création en tant que lecteur et a été un acteur et un partenaire incontournable tout au long de mon parcours en compagnie. Il a contribué et continue de rendre visible énormément de créations, d’événements et donc à aider celles et ceux qui proposent, créent, imaginent, conçoivent de rencontrer un public.
C’est un support que beaucoup d’entre nous, public et professionnel·le·s de la culture et des loisirs, attendons chaque mois et avons plaisir à lire. On y trouve tout ce qui se passe à proximité du lieu où l’on vit, on travaille. C’est un peu la feuille de route du mois pour celles et ceux qui aiment sortir, découvrir, essayer et pour nous, le magazine culturel dans lequel il faut absolument être si l’on veut être vu en local.
Et puis le JDS et l’Espace 110, c’est une longue histoire. On m’a rapporté que les premiers tests avaient été imprimés sur nos photocopieuses en 1994, lors du Festival Bédéciné. Le JDS était alors édité quotidiennement pour annoncer la programmation du jour, les rencontres avec les auteur·rice·s invité·e·s…
Quels sont les enjeux de demain en matière de communication pour l’Espace 110 ?
En premier lieu, il s’agit de renforcer l’image de cette maison qui a changé depuis bientôt dix ans, celle d’un lieu devenu une référence pour la création mais aussi d’un projet global dont la transversalité des propositions permet d’allier culture et loisirs.
Faire ensuite que les habitants de l’agglomération s’emparent davantage de l’Espace 110 en s’y rendant plus souvent, à diverses occasions, dans différents cadres.
Cette saison est un peu celle des métamorphoses pour nous. D’importants travaux de restructuration des locaux ont été entrepris depuis l’été dernier et ce encore pour quelques semaines en ce début de nouvelle année. Mais les métamorphoses ne s’arrêteront sans doute pas là et demain est un autre jour que nous avons hâte d’écrire avec le public et nos partenaires.
Pour conclure, que peut-on te souhaiter pour cette nouvelle année qui démarre ?
Un retour à la dynamique d’avant Covid. Que les gens se rendent compte qu’il existe un monde bien vivant en dehors des écrans, qu’ils reviennent fréquenter des lieux comme les nôtres, théâtres, musées, cinémas…
Que si le monde qui évolue aussi vite ces dernières années, pour le meilleur et pour le pire, peut faire peur, en effrayer certain·e·s, c’est bien le vivre-ensemble, le partage, l’échange, qui nous permettront d’aller de l’avant et de vivre de manière plus apaisée.